LE VISAGE, UNE FASCINATION JUBILATOIRE

            Depuis toujours les visages m’aimantent et m’émeuvent. Je les débusque partout : dans l’eau qui s’étale lentement au fond d’une vasque, dans les pierres des murs, dans les veines du carrelage en marbre, les nœuds d’une souche, la mousse du café, une tâche, une ombre… Les visages sont pour moi une source de constantes découvertes et interrogations. A l’heure où ils sont devenus, pandémie oblige, à demi masqués, je cherche à deviner l’autre moitié, leur mystère m’excite et quand, par bonheur, le masque tombe, la découverte est d’autant plus immense. Je ne retiens pas les noms mais les visages s’impriment dans ma rétine pour longtemps.  Pour Lévinas : « le visage c’est l’infini incarné, l’infini qui perce à travers le sensible, c’est la présence de l’autre. L’accès au visage est d’emblée éthique. Le visage est ce qui nous interdit de tuer, c’est la singularité, l’altérité, c’est ce qui fait échec à la totalité. Le visage est le lieu du sacré par excellence. » Cette pensée me touche, je la fais mienne dans ma démarche de création.

Réguy, Bayle, arts, sculpture, théâtre, ateliers, Aude, Narbonne, Portel, Port-la-Nouvelle
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            Les technologies nouvelles multiplient, par écran interposé, la représentation du visage ; aplati, lisse, lifté par la chirurgie esthétique, codifié. Le stéréotype peut renvoyer à une expression mortifère. La figure belle, lisse, parfaite  m’ennuie. Dans la frénésie ambiante du « selfie », cette ivresse du moi, mon propre visage m’indiffère. C’est le visage de l’autre qui m’attire, celui de l’inconnu d’ici et d’ailleurs, celui qui n’est pas starisé, médiatisé, héroïsé, celui que je croise et dont je m’inspire sans le prendre pour modèle dans un but de ressemblance. Aucun souci de « typologisation » morphologique, aucun désir de stylisation qui s’apparenterait au cubisme, à l’expressionnisme, à l’abstraction, au fauvisme, au primitivisme et j’en passe. Je ne trouve rien de plus jubilatoire que de faire naître sous mes doigts dans l’argile ou dans le bois à la pointe de mes gouges, voire dans la pierre et le marbre des visages que je sculpte à un moment de leur vie. Advient ce qui doit arriver. Ces visages nous ressemblent, nous assemblent.

LES MATÉRIAUX : UN ENGAGEMENT

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            Il existe un point commun dans le choix des matériaux que je travaille : ils n’endommagent pas l’environnement, ils ne sont pas une blessure pour la nature, ils la subliment.

DOUELLES

            Je sculpte sur du bois recyclé à partir de douelles en chêne, appelées aussi douves qui forment la paroi des tonneaux adaptés pour l’élevage et la vinification des vins. Les douelles présentent des pores par lesquels le vin pénètre légèrement dans le bois. A l’inverse, l’air passe dans le vin par ces mêmes pores lui apportant une oxygénation. Quand les fûts sont trop usagés, leur qualité œnologique disparaît, les douelles arrivent en fin de vie, c’est à ce moment que je les achète et les sculpte.

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            La forme incurvée des douelles, leurs dimensions particulières hautes et étroites, leur faible épaisseur et la dureté du bois occasionnent des contraintes pour les sculpter qui me poussent à une certaine stylisation qui s’apparente au bas-relief. La plupart ont gardé des traces de cerclage, des tenons et mortaises d’assemblage et plus rarement du tannin. J’essaie de conserver au maximum cette mémoire de la matière travaillée avant moi par les tonneliers et par le vin. Pour certaines, je les ai sectionnées pour ne garder que l’espace du visage. Pour d’autres, j’ai opté pour un cloisonnement en ne sculptant que des yeux.

Il est possible de les suspendre à un mur ou de les laisser sur leur pied en fer boulonné.

VISAGES CONSUMÉS

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            Pour l’écriture d’un livre, « Les fils de la forêt », je suis allée en Argentine dans la Province des Misiones à la rencontre des M’bya Guarani dans ce qui reste de forêt primaire. Le drame de la déforestation vécue par les Indigènes, outre le sentiment d’injustice qu’il soulève, nous concerne tous car il est directement lié au changement climatique. Cette prise de conscience a été déterminante dans mon cheminement artistique. En sculptant du chêne ou toute autre essence sauvée du feu -le geste salvateur a son importance car je ne brûle pas le bois au chalumeau, je le soustrais aux flammes- je fais surgir des visages au cœur du bois non encore totalement calciné dans un acte de révolte symbolique. Montrer que sous la peau morte du bois palpite du vif, c’est dire que des êtres, vivant par et pour la forêt, refusent d’abdiquer devant la cupidité. Je me place ainsi modestement dans les pas du grand artiste Frans Krajcberg qui avec ses sculptures-arbres s’est engagé dans la défense de la forêt amazonienne et la sauvegarde de la planète.   

            Les nombreux incendies dans notre région réduisent la végétation et en particulier nos arbres à l’état de cendres ou de moignons calcinés. Le besoin d’un geste réparateur s’est imposé à moi devant ces destructions le plus souvent d’origine humaine.  Il consiste à faire affleurer ce qu’il reste de vivant au cœur du bois brûlé ramassé.  Les parties de bois calcinées sont durcies pour éviter l’effritement, elles sont ainsi manipulables et transportables.

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TERRE

            L’argile se cuit dans des fours à céramique à une température comprise entre 900 et 1300°C pendant au minimum 8 heures. C’est beaucoup d’énergie consommée. J’ai donc fait le choix de travailler une argile naturelle autodurcissante contenant des fibres de cellulose permettant un séchage sans danger de distorsion.  Cette argile qui durcit à l’air en acquérant dureté, résistance et solidité sans besoin de cuisson me permet de modeler avec finesse et précision.

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FENÊTRES

            Les fenêtres, de l’extérieur, délimitent un fragment de réel à la manière d’un cadre en peinture. De l’intérieur elles ouvrent sur un ailleurs donné à contempler ou à imaginer. Elles sont un espace idéal pour mettre en évidence des visages qui interagissent entre eux, qui réagissent ou sont indifférents à ce qu’ils voient et que nous ne voyons pas. La metteuse en scène que j’ai été au cours de ma vie professionnelle se plait à scénariser ces personnages à leur fenêtre, à imaginer ce qu’ils se disent, ce qu’ils voient, ce qu’ils pensent. Il y a ici une théâtralisation assumée. Les fenêtres ont été découpées puis soudées dans des chutes de fer.

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LA PIERRE

La pierre est un des matériaux de prédilection de l’artiste. Il s’agit d’une pierre  calcaire locale dense et fine dans laquelle elle sculpte :  fontaines et bassins, gargouilles, grotesques, chimères, cadrans solaires…

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BAS-RELIEFS EN PLÂTRE

Démarré dans un premier temps dans un but décoratif, le modelage en plâtre sur un support en bois est devenu un medium plastique intéressant à travailler. Pour rendre plus expressif ce matériau Réguy l’a rehaussé de pigments naturels du Roussillon qui se rapprochent de l’incarnat des visages.

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PASTELS ET FUSAINS PRÉPARATOIRES

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N’oubliant pas que la matrice de son travail de sculpture est le dessin qu’elle pratique depuis toujours, Réguy l’utilise sous des formes différentes telles que le fusain et le pastel.

Le fusain est idéal pour créer des ombres que l’on peut estomper à l’infini, et obtenir ainsi de la profondeur. Le pastel permet une grande richesse de traits et de textures, la vibration des couleurs le rapproche de la peinture.

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